Depuis le 18 février 2015, le Code civil prévoit dans son article 515-14 que « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens. ». La création de cet article il y a 10 ans a fait grand bruit et semble avoir révolutionné les droits des animaux en France, dans la croyance populaire. Tel n’est en réalité pas le cas. Explications.
L’article 515-14 a été intégré au Code civil via la loi n°2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.
L’attribution du qualificatif d’« être sensible » n’était pas une nouveauté.
En effet, l’animal était déjà reconnu par le droit français comme un être sensible depuis la loi n°76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, qui prévoit dans son article 9 que « tout animal parce qu’il est un être sensible, doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce », ne procédant par ailleurs à aucune distinction entre une sensibilité physique ou psychologique.
Le Code pénal quant à lui, distinguait depuis 1992 les infractions contre les animaux des infractions contre les biens afin de marquer une distinction entre les animaux et les autres biens matériels. Le Code pénal avait également augmenté la sévérité des peines prévues pour les infractions commises contre les animaux dès 1994.
Le Code rural et de la pêche maritime reconnait pour sa part cette qualité depuis une ordonnance du 18 septembre 2000 (n°2000-914) via son article L214-1 qui prévoit que « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. ».
En créant l’article 515-14, le Code civil s’est ainsi simplement mis en cohérence avec le droit français préexistant.
Comme l’expliquait en avril 2016 le Ministère de la Justice en réponse à une question du sénateur Roland Courteau datant de juillet 2014 par laquelle il sollicitait la création d’un nouveau statut juridique pour l’animal, l’article 515-14 du Code civil « permet de consacrer le statut de l’animal dans le code civil et de reconnaître le caractère sensible de celui-ci afin de mieux concilier sa qualification juridique et sa valeur affective, tout en maintenant l’état actuel du droit. Il est en effet essentiel de concilier la protection de l’animal sans pour autant mettre en péril les bases traditionnelles de l’économie. C’est ainsi que le principe selon lequel l’animal suit intégralement le régime des biens meubles ou immeubles pour les opérations économiques est maintenu. En effet, si les animaux se voient qualifiés d’« êtres vivants doués de sensibilité », ils n’en restent pas moins soumis au régime des biens. Ces nouvelles dispositions ne modifient donc en rien les droits et contraintes des détenteurs et propriétaires d’animaux et ne remettent pas en cause leurs activités, qui sont déjà soumises à des lois protectrices de l’animal. Les animaux restent ainsi dans la sphère patrimoniale, de sorte que les règles relatives notamment à la chasse, à la vente des animaux d’élevage, à leur transmission par succession, ou encore à la vente de gamètes, continueront à s’appliquer. ».
Cet article a ainsi été créé davantage afin de répondre à des demandes croissantes des citoyens souhaitant une meilleure prise en compte de l’animal, et de juristes de plus en plus nombreux à demander la création d’un statut juridique particulier aux animaux.
Pourtant, dans les mentalités, l’animal, de par ce statut d’être sensible reconnu par le Code civil, n’est pas soumis au même régime qu’un bien tel qu’une table, une voiture…, cependant, l’animal reste un bien matériel, avec un propriétaire ou un détenteur identifiable.
Dans la pratique, ce statut d’être sensible n’a que peu de conséquences vis-à-vis des personnes qui exerceraient une maltraitance envers un animal. En effet, la prise en compte de cette sensibilité n’est pas ressentie dans les décisions rendues par la Justice en matière de maltraitance animale.
De surcroît, la maltraitance psychologique et les impacts psychologiques sur l’animal d’une maltraitance physique sont peu, voire pas reconnus via les jugements, et ce malgré la présentation d’un certificat vétérinaire qui mentionnerait que l’attitude constatée chez l’animal est en lien avec une maltraitance.
Les décisions rendues en matière de maltraitance animale ne font preuve d’aucune uniformité d’une juridiction à l’autre, la prise en compte de la sensibilité de l’animal dépendant donc de la sensibilité même du magistrat en charge de rendre une décision…
Si le Tribunal correctionnel de Lille a reconnu le préjudice d’un chat victime de coups mortels par le père de famille le 11 janvier 2024, cette décision reste isolée et ne doit pas être interprétée comme le début de l’indemnisation des animaux victimes de maltraitance, qui ne pourront aucunement disposer des sommes qui leur seraient allouées, celles-ci revenant en réalité soit au propriétaire de l’animal, soit à une association qui le défendrait.
Le préjudice moral accordé aux associations qui se portent partie civile pour défendre devant la Justice les intérêts des animaux qu’elles protègent serait le reflet de la prise en compte de la sensibilité de l’animal, mais d’une décision à l’autre le montant du préjudice moral peut varier entre 0€ sans motivation avancée, à 1€ symbolique, et peut monter très exceptionnellement à 1 000€… là encore sans aucun critère objectif.
Pourtant, les associations essayent de faire preuve de pédagogie et d’expliquer que leur préjudice moral est constitué dès lors qu’il y a une atteinte au bien-être et/ou à la protection des animaux et que leur porter atteinte constitue une atteinte à l’objet statutaire de l’association qui se présente en défense des intérêts de l’animal ou des animaux concernés par ces affaires.
A noter que le préjudice moral sert aussi à reconnaitre l’investissement des équipes, bénévoles et salariées, qui œuvrent pour redonner confiance à ces animaux au passé difficile, les sociabiliser afin qu’ils aient de nouveau confiance en l’humain, leur apporter les soins nécessaires pour que leur santé mentale s’améliore également, tout ceci pour maximiser leurs chances de retrouver un nouveau foyer.
D’autre part, il est important d’avoir connaissance que seuls les délits permettent d’obtenir une interdiction de détenir un animal, donc seules les infractions suivantes sont concernées : les sévices graves ou actes de cruauté et les atteintes sexuelles ainsi que l’enregistrement d’images de ces infractions, les abandons, la mise à mort sans nécessité et les mauvais traitements par un professionnel du monde animalier.
Les interdictions peuvent être prononcées à titre temporaire ou à titre définitif, mais dans les faits les interdictions de détention à titre définitif sont très rares et parfois les interdictions temporaires varient entre 1 an et 5 ans, sans motivation particulière là encore et ne prenant pas en compte le bien-être d’un animal qui sera dans le futur au contact d’une personne ayant consciemment fait du mal à un autre animal, et donc le fait que sa sensibilité pourra être mise à mal.
En outre, la prise en compte de la sensibilité de l’animal et de son intérêt se fait dans de rares cas de séparations de couples. Il est en effet arrivé occasionnellement qu’un Juge aux affaires familiales prononce une garde alternée de l’animal du foyer, au même titre que pour les enfants du couple quand il y en a également (mais nous pouvons alors nous interroger : cette garde alternée de l’animal est-elle prononcée afin de permettre à l’animal de garder un lien avec ses deux détenteurs ou est-elle prononcée afin que l’animal suive les enfants du foyer et serve alors d’une sorte de soutien moral à ceux-ci ?).
Il est aussi arrivé qu’un Juge octroie la garde d’animaux à la personne du couple n’étant pas officiellement propriétaire lorsque celle-ci avait pu prouver que c’était elle qui subvenait aux besoins de leurs animaux et non le propriétaire référencé comme tel sur le fichier national I-CAD.
Enfin, la loi renforçant l’ordonnance de protection et créant l’ordonnance provisoire de protection immédiate, adoptée le 5 juin 2024, oblige désormais le Juge aux Affaires Familiales, qui délivre une ordonnance de protection en cas de faits de violence allégués et de danger auquel la victime ou des enfants sont exposés, à attribuer à la partie qui en fait la demande la détention de l’animal de compagnie présent au sein du foyer. Le Juge peut ainsi passer outre la propriété déclarée sur le fichier national I-CAD.
Cette disposition a pour objectif que les victimes de violences familiales ne se sentent pas obligées de rester dans un foyer où leur animal peut également être victime ou utilisé à des fins de manipulation, aussi nous pouvons là encore nous questionner : est-ce la sensibilité de l’animal qui est prise en compte ou simplement l’intérêt des victimes humaines du foyer ?